À propos de la peinture de Zach Mitlas
Martial Déflacieux, janvier 2017

Il y a quelque chose de touchant dans la peinture de Zach Mitlas. Ce qui est touchant, ce qui peut nous saisir en regardant ses peintures, ce que l’on peut en somme comprendre ; c’est une forme d’inaptitude. Terme dont l’acception semble négative mais qui peut avoir bien des aspects positifs notamment lorsqu’il s’agit d’art. L’inaptitude est une forme de transgression que l’on ne reconnaît pas comme telle car elle est involontaire. La transgression est habituellement associée à une volonté de changement (ordre, loi, morale) exprimée de façon radicale. L’inaptitude est involontaire, elle modifie le réel sans anticipation ni calcule et souvent très discrètement.

L’inaptitude picturale de Zach Mitlas est belle et bien transgressive. L’observateur attentif ressentira vite un certain inconfort face aux couleurs employées, souvent les primaires avec cette pointe de complémentaire qui fausse leur identité. Cette utilisation de la couleur, qui arrive à surprendre malgré toutes les expériences dont la peinture a fait l’objet en un siècle, est liée à une dyschromatopsie. Zach Mitlas souffre en effet d’un léger trouble de la vision qui modifie la perception et l’utilisation des couleurs. De fait, ce que nous percevons est différent de ce qu’il peint. Peindre aurait pu consister à éviter les effets de ce trouble, mais au contraire l’artiste semble grâce à lui, tenir à distance sa peinture. Une distance raisonnable entre lui et elle, mais également entre elle et nous.

Au delà de l’anecdote biographique et médicale, une partie de la nature du travail de l’artiste se joue là, sur le seuil. À vrai dire, la notion de seuil pourrait même convenir à une grande partie de son travail. Beaucoup d’éléments confirment cette idée. Le seuil est le point de basculement, il s’exprime chez Zach Mitlas par un besoin récurent d’investir les limites de la toile en les prolongeant de différentes façons, mais aussi par le désir de faire une image sur le point de disparaître. Le besoin de prolonger les limites de la toile est pour le moment un vaste champ d’expérimentation qui donne lieu à de nombreuses tentatives (disparition du cadre qui soutient la toile, réalisation de peintures murales, mises en scène de la peinture sous forme de documentation) et l’utilisation de différents matériaux (bâches plastiques, bois, plâtre). En spéculant un peu, on pourrait être tenter de miser sur le devenir décor de ses expériences. Le désir de construire une image sur le point de disparaître est encore plus visible. Ces images représentent en grande majorité des espaces ou des choses abimés par le temps. Les peintures ont parfois mêmes subi un ponçage qui a usé, pour ainsi dire, l’image. Plus que la disparition, c’est le vestige qui se manifeste dans la peinture de Zach Mitlas. Le vestige en tant qu’arrêt sur image ; ce qui reste d’une chose qui n’est plus.

Ce qui reste de la peinture avec Zach Mitlas, c’est son inaptitude salvatrice, quelquechose d’aussi fragile qu’instable et d’incomplet qui dit beaucoup de sa perte, mais aussi de son autonomie face aux différents régimes visuels qui lui contestent toujours un peu plus les derniers bouts de son existence.


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(EN)

On the painting of Zach Mitlas
Martial Déflacieux, janvier 2017

There is something moving about the painting of Zach Mitlas. What is moving, that which can seize us while looking at his paintings, that which one can in sum understand, is a form of inaptitude. This is a word that in every sense seems negative but which can have positive aspects most notably in relation to art. Inaptitude is a form of transgression that one does not recognize as such initially because it is involuntary. Transgression is habitually associated with a drive for change (order, law, morality) expressed in a radical fashion. Inaptitude is involuntary because it modifies reality with neither anticipation nor calculation and often very discreetly.

Pictorial inaptitude in the case of Zach Mitlas is indeed transgressive. The attentive spectator quickly feels a certain discomfort faced with the chosen palette, often primaries with a touch of their compliment, which deforms their identity. This use of color, which can surprise the onlooker despite the numerous experimentations of which painting has been the object in the last century, is tied to an impaired color vision. Zach Mitlas actually suffers from a slight vision disorder that modifies his perception and use of color. In fact, what the spectator sees is different from what he paints. The act of painting could have consisted in avoiding the effects of this disorder, but on the contrary, thanks to this anomaly the artist seems to have kept his practice at a distance. It is a reasonable distance between himself and his work, and equally between the work and the audience.

Beyond biographical and medical anecdote, a part of the nature of the artist’s work is enacted here, on the threshold. In fact, the notion of the threshold could even suit a large portion of his work. Several elements confirm this idea. The threshold is the tipping point, and it expresses itself in the case of Zach Mitlas by a recurrent need to flood the limits of the canvas by extending them by various means, but also by the desire to create an image at the brink of its disappearance. The need to extend the limits of the canvas is, for the moment, a vast field of experimentation that occurs in various attempts (disappearance of the frame which supports the canvas, realization of mural paintings, staging paintings in the form of documentation) and use of diverse materials (plastic films, wood, plaster). With a little speculation, one could be tempted to wager a guess about how these experimentations could become the subject of full environments. The desire to construct an image on the brink of disappearance is even more present. These images represent for the majority spaces and objects damaged over time. The paintings have even been subjected to sanding that has worn away, so to speak, the image. More than disappearance, it is the vestige that manifests itself in the painting of Zach Mitlas. The vestige becomes a freeze-frame, that which remains of something no more.

That which remains of painting with Zach Mitlas, is his saving inaptitude, something as fragile as it is instable and incomplete, that says a lot about its loss, but also about its autonomy in relation to various visual regimes which contest always a bit more the last aspects of its existence.